Samuel Beckett
Le rire aussi ça fait de la musique. Il y en a beaucoup du rire chez Beckett malgré les apparences. « Un rire qui rit du rire ». Un rire réglé justement comme du papier à musique. Comme tout le reste d’ailleurs chez Beckett, pas seulement le rire. C’est ça qui agace beaucoup de metteurs en scène. On ne leur laisse pas assez de place, pas assez de liberté… Nous ça nous suffit cette place-là. Celle du metteur en notes et en images. Parce que le rire dans Fin de partie, comme tout le reste, pas seulement le rire, si on le fait pas sonner dans sa juste mesure entre silences et contre temps, il fait pas rire du tout, il fait pas grincer des dents, il fait pas beauté, il vient pas nous heurter les méninges. Il sonne creux, il tombe à plat, il fait flop.
Il faut dire que cet amour de la musique, de la précision et du détail, il nous vient de loin. C’est juste que Beckett nous a appris à le mettre dans le texte. Il nous vient de notre formation chez Lecoq. Il nous vient de notre pratique du burlesque et du clown. Non pas que Fin de partie soit du clown ni du burlesque, encore moins que Godot, mais quand même…
Pour nous, il y a chez Beckett une manière d’appréhender le personnage et le jeu de l’acteur qui interdit toute psychologie et tout réalisme. Ses personnages étant à la fois dans la plus grande présence possible et comme absents à eux-mêmes, purs réceptacles, corps offerts aux mots et à la musique de l’auteur. Ils sont là. Dans ce présent-là. Cet espace-là. Qui plus encore que dans Godot nous ramène à la durée de la représentation (il y avait deux actes, deux journées dans Godot). Condensation maximale du temps sans ellipse.
Nous voudrions que tout se passe comme dans un tableau en mouvement et en trois dimensions dont Beckett aurait dessiné les moindres détails. Installation, plutôt que décor, d’un artiste plasticien tout autant soucieux du concret de par la volonté de mettre en évidence les rares objets qu’il offre à une utilisation économe et répétitive de ses protagonistes, que de l’abstraction, par un refus de toute logique et cohérence. Dans ce tableau-là, cette installation, comment pourraient se mouvoir des personnages réalistes ? Il s’agira bien plutôt de poursuivre un travail entamé depuis des années avec nos acteurs sur cette présence/absence, cet être-là dénué de toute psychologie.
Alors, oui. On veut monter Fin de partie. Si, si, on en est sûrs. Pas seulement parce que pour nous ce serait revenir à la source vingt ans après Godot, depuis le chemin qui nous a vu grandir —on n’est plus les mêmes vingt ans après ! Non. Si on veut monter Fin de partie, c’est aussi et surtout parce que c’est pour nous une immense pièce de théâtre d’un immense auteur. On ne va pas vous faire le coup de l’actualisation, de l’écho d’une humanité en perdition, de l’impossibilité communicationnelle, ou de notre planète qui se meurt. Comment cette pièce peut résonner aujourd’hui ? Peut-être comme ça. Peut-être pas. Allez savoir…
Nous, on va se contenter de se mettre en service. Au service d’une œuvre qui n’a rien fait de moins que révolutionner le théâtre contemporain.